N°14 LE NOM DE LA ROSE
d'Umberto Eco (1981)
Le numéro 14 de ce hit-parade des génies littéraires du siècle est Umberto Eco pour son premier roman : Le Nom de la rose, publié en 1981. Né à Alessandria (Piémont) en 1932, Umberto Eco avait alors 49 ans, il en a aujourd'hui 68. Il exerce la digne fonction de professeur de sémiotique à l'université de Bologne et même si l'on pourrait critiquer ce classement obscènement sur-évalué (probablement dû à l'excellente adaptation cinématographique de son roman par Jean-Jacques Annaud), il faut admettre que Le Nom de la rose reste à la relecture un roman adroitement concocté.
Pourquoi? Tout simplement parce que son idée est assez tordue : écrire un polar médiéval, un thriller monastique, qui se déroule « en l'an de grâce et de disgrâce 1327 ». Un ex-inquisiteur nommé Guillaume de Baskerville (hommage à Conan Doyle le Barbare), flanqué de son secrétaire Adso de Melk (narrateur de cette histoire), va enquêter sur des meurtres mystérieux qui cassent l'ambiance bénédictine d'une abbaye située entre Provence et Ligurie. Tout le roman se déroule en 7 jours, avec un assassinat par jour, sur fond d'érudition latine et de bibliothèques mystiques. C'est Sherlock Holmes aux vêpres, Peau d'Ane chez les moines, Philip Marlowe en robe de bure : un roman admirablement construit, pastiche de vieux manuscrits latins, formellement d'une grande créativité, rédigé dans une langue imprégnée du savoir encyclopédique d'Eco sur le Moyen Age (et de ses lectures borgésiennes) : « Ainsi, en connaissant jour après jour mon maître, et en passant nos longues heures de marche en de très longues conversations dont, le cas échéant, je parlerai au fur et à mesure, nous parvînmes au pied du mont où se dressait l'abbaye. Et il est temps, comme jadis nous le fîmes, que mon récit s'approche d'elle : puisse ma main ne point trembler au moment où je m'apprête à dire tout ce qui ensuite arriva. »
Pour pinailler, et sans doute par jalousie face à ses seize millions d'exemplaires vendus de par le monde, on pourrait dire que l'idée du manuscrit découvert par hasard n'était pas indispensable, car assez usitée, du Manuscrit trouvé à Saragosse de Jan Potocki jusqu'à la récente cassette vidéo du Projet Blair Witch: c'est un peu une vieille ficelle. Venant d'un auteur aussi roublard, cette banalité surprend.
On pourrait aussi dire qu'Eco n'est jamais parvenu tout à fait à retrouver la grâce de ce premier roman. (Il paraît qu'il vient de s'y essayer avec Baudolino, l'histoire d'un gamin des rues du XIIe siècle, qui fait un malheur en Italie : nous verrons bien.) Il y a des œuvres comme ça, qui sont des miracles uniques, des exploits impossibles à rééditer. Je pense en particulier au Parfumde Süskind, d'ailleurs lui aussi un polar historique. Moralité : tout polar en costumes d'époque épuise irrémédiablement son auteur, surtout s'il se prénomme Umberto ou Patrick. Serais-je de mauvaise foi? Oui. C'est mon métier.